La présidence tournante pour des Mahorais
ou pour Mayotte?
Un Président mahorais pour les Comores, ou
l’art de couper les cheveux en quatre
Par ARM
«La
Présidence est tournante entre les îles. Le Président et les Vice- présidents
sont élus ensemble au suffrage universel direct majoritaire à un tour pour un
mandat de cinq (5) ans renouvelable dans le respect de la tournante. Une
élection primaire est organisée dans cette île et seuls les trois candidats
ayant obtenu le plus grand nombre de suffrage exprimés peuvent se présenter à
l’élection présidentielle. Dans tous les cas la primaire ne peut s’organiser
deux fois successives dans la même île. […].». Voilà ce que nous apprend, sur
l’organisation de l’élection présidentielle aux Comores, l’article 13 de la
Constitution comorienne du 21 décembre 2001 telle qu’elle sera révisée en 2009.
Cet article 13 renvoie à une loi organique rédigée dans le pur style des textes
juridiques comoriens, toujours très mal écrits, avec des articles pouvant
comporter jusqu’à 20 alinéas confus, sans numérotation. Cela étant, quelque
part au sein de l’article 1er de la loi organique du 4 juin 2005, on
retrouve difficilement le passage suivant: «La
présidence de l’Union est tournante. Au cours du mandat en cours, exercé par
Ngazidja, le tour revient à Ndzuwani, puis Mwali, ensuite Maoré, sous réserve
des dispositions de l’article 39 de la Constitution et ainsi de suite».
Comme rien n’est simple en Droit comorien,
nous continuons le match de ping-pong entre la Constitution et la loi organique,
et prenons connaissance des dispositions de l’article 39 de la Constitution du
21 décembre 2001: «Les institutions de
Maoré (Mayotte) seront mises en place dans un délai n’excédant pas six mois à
compter du jour où prendra fin la situation qui empêche cette île de rejoindre
effectivement l’Union des Comores. La présente Constitution sera révisée afin
de tirer les conséquences institutionnelles du retour de Maoré (Mayotte) au
sein de l’Union». La Constitution parle donc des institutions de Mayotte et
non de la candidature de Mahorais à l’élection présidentielle, après une
éventuelle «réunification» de
l’Archipel.
Autrement dit, la Constitution n’est pas
un modèle de clarté sur un sujet aussi explosif, car l’organisation de
l’élection primaire à Mayotte ou pour des candidats originaires de cette île
n’est pas évoquée. On parle de Mayotte sans en parler. Mais, en même temps, il
est dit à l’article 1er de la Constitution que «l’Union des Comores est une République, composée des îles autonomes de
Mwali (Mohéli), Maoré (Mayotte), Ndzuwani, Ngazidja (Grande-Comore). […].».
Or, la Constitution ne parle pas expressément du problème de l’élection
primaire à Mayotte ou au profit de Mahorais, alors que l’État comorien
considère Mayotte comme l’une de ses composantes.
Autant il est permis à un Mahorais, en
tant que Comorien de par la Constitution de l’Union, de prétendre à la
magistrature suprême de son pays, autant on est en droit de se poser moult
questions sur la manière d’organiser une élection primaire dont les candidats
ne seraient que Mahorais: où organiser cette élection et sur la base de quelles
listes électorales? Déjà, lors de l’élection présidentielle du 30 septembre
1985, quand la présidence tournante n’existait pas encore dans le système institutionnel
des Comores, et quand les choses étaient beaucoup plus simples, Youssouf Saïd,
un candidat mahorais, s’était présenté contre le Président Ahmed Abdallah, mais
sa candidature avait été rejetée au prétexte que l’intéressé ne figurait pas
sur les listes électorales aux Comores. Or, pour la symbolique, le Président
Ahmed Abdallah était très mal inspiré de n’avoir pas autorisé cette
candidature, quitte à organiser une fraude massive pour empêcher nolens volens l’élection du candidat
Youssouf Saïd. Quel beau symbole aurait été une élection présidentielle
comorienne à laquelle aurait pris part un candidat mahorais!
Aujourd’hui, le journaliste Hakime Ali
Saïd et les autres membres du Comité pour un Mahorais Président de l’Union des
Comores revendiquent la présidence des Comores pour un Mahorais. Du point de
vue du Droit, la question ne manque pas d’intérêt, et si elle obtient un
soutien ferme de la part des acteurs politiques, elle risque de plonger les
Comores dans une de ces crises politiques dont elles ont le secret. En même
temps, si les Comores traitent cette affaire à la légère, elles prendront un
grand risque, qu’on analysera notamment à la lumière de l’argument fort logique
de Madame Sandati Abdou, Présidente des Femmes Leaders, qui estime, avec raison,
que la candidature de Hakime Ali Saïd sera logiquement rejetée par «Moroni» et que ce rejet sera la preuve
de la non-appartenance de Mayotte aux Comores. En effet, Madame Sandati Abdou
martèle que «la candidature de Hakime Ali
Saïd est, je trouve, légitime et normale. Et si Moroni accepte, ça veut dire
qu’ils estiment que Mayotte appartient toujours aux Comores. Mais, comme je
connais leur système, jamais ils ne diront “Oui”. Moroni dira directement “Non”. Et
s’ils disent non, c’est la preuve qu’ils ont accepté que Mayotte est française.
C’est la preuve aussi qu’ils acceptent la départementalisation de Mayotte».
Les sceptiques peuvent rire, mais cette affaire est très grave. Tout bon
juriste de Droit international public ou de Droit constitutionnel le confirmera.
Cette gravité est d’autant plus réelle que
les promoteurs de la candidature de Hakime Ali Saïd ne sont pas des partisans
du rattachement de Mayotte aux Comores, mais, des gens qui font une certaine
lecture de la Constitution comorienne et qui en exploitent l’une des nombreuses
failles qui constituent sa trame. Quand on voit que la Présidente des Femmes
Leaders, un mouvement très hostile aux Comores, boit du petit-lait en
expliquant le piège tendu aux Comores et qu’elle encourage la candidature de
Hakime Ali Saïd, il y a de quoi prendre peur si les Comores veulent continuer à
revendiquer Mayotte en tant qu’île qui relève de leur souveraineté nationale.
C’est une patate chaude aussi bien sur le plan juridique que sur le plan
politique car, quelles que soient les arguties qui seront développées à Moroni,
à Mayotte on va beaucoup rigoler en voyant les Comores pédaler dans la semoule.
Dans l’argumentation des promoteurs de la
candidature de Hakime Ali Saïd, la seule dynamique qu’on retrouve, est celle relative
à l’arrêt des migrations comoriennes vers Mayotte, au développement des Comores
et au placement des Comores au pays du mur. Sur le plan politique, les Comores
ont intérêt à réfléchir sérieusement sur cette affaire qui va non pas dans le
sens de la réunification de l’archipel, mais dans celui d’une campagne
savamment orchestrée pour mettre les Comores en difficulté à partir des
contradictions de la Constitution. Le «candidat»
Hakime Ali Saïd lui-même crie haut et fort sa volonté de voir les Comores
arrêter de harceler Mayotte et la France dans les conférences internationales,
du fait de la présence française à Mayotte, présence tout de même voulue par
l’écrasante majorité de la population de l’île. Quand Hakime Ali Saïd, dans un
style provocateur bien rodé et dans un français bon père de famille, parle du
développement de Mayotte, il l’envisage dans une perspective régionale et non
comorienne. Pour sa part, Madame Sandati Abdou répugne à parler des «Comores» et de l’«Union des Comores», préférant «Moroni».
Ce qui constitue le signe évident de la non-reconnaissance des Comores comme
une entité viable et fiable.
On va encore parler de la «déstabilisation» des Comores par la
France. Or, en la matière, les Comores ne pourront rien prouver, alors que de
lancinantes questions vont se poser sur cette candidature, dont l’acteur
principal promet de réussir là où les autorités comoriennes ont échoué depuis
1975 en matière de développement économique et sociale. Cette candidature
relève de la provocation, mais il s’agit d’une provocation intelligente puisque
même les ultras des Femmes Leaders la soutiennent, dans le seul but de plonger
les Comores dans l’embarras.
©
www.lemohelien.com – Vendredi 22 février
2013.
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