lundi 25 février 2013

TOURNANTE POUR MAORAIS OU POUR MAYOTTE ?


La présidence tournante pour des Mahorais ou pour Mayotte?

Un Président mahorais pour les Comores, ou l’art de couper les cheveux en quatre

                                                                                                                                      Par ARM

 

      «La Présidence est tournante entre les îles. Le Président et les Vice- présidents sont élus ensemble au suffrage universel direct majoritaire à un tour pour un mandat de cinq (5) ans renouvelable dans le respect de la tournante. Une élection primaire est organisée dans cette île et seuls les trois candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrage exprimés peuvent se présenter à l’élection présidentielle. Dans tous les cas la primaire ne peut s’organiser deux fois successives dans la même île. […].». Voilà ce que nous apprend, sur l’organisation de l’élection présidentielle aux Comores, l’article 13 de la Constitution comorienne du 21 décembre 2001 telle qu’elle sera révisée en 2009. Cet article 13 renvoie à une loi organique rédigée dans le pur style des textes juridiques comoriens, toujours très mal écrits, avec des articles pouvant comporter jusqu’à 20 alinéas confus, sans numérotation. Cela étant, quelque part au sein de l’article 1er de la loi organique du 4 juin 2005, on retrouve difficilement le passage suivant: «La présidence de l’Union est tournante. Au cours du mandat en cours, exercé par Ngazidja, le tour revient à Ndzuwani, puis Mwali, ensuite Maoré, sous réserve des dispositions de l’article 39 de la Constitution et ainsi de suite».

        Comme rien n’est simple en Droit comorien, nous continuons le match de ping-pong entre la Constitution et la loi organique, et prenons connaissance des dispositions de l’article 39 de la Constitution du 21 décembre 2001: «Les institutions de Maoré (Mayotte) seront mises en place dans un délai n’excédant pas six mois à compter du jour où prendra fin la situation qui empêche cette île de rejoindre effectivement l’Union des Comores. La présente Constitution sera révisée afin de tirer les conséquences institutionnelles du retour de Maoré (Mayotte) au sein de l’Union». La Constitution parle donc des institutions de Mayotte et non de la candidature de Mahorais à l’élection présidentielle, après une éventuelle «réunification» de l’Archipel.

        Autrement dit, la Constitution n’est pas un modèle de clarté sur un sujet aussi explosif, car l’organisation de l’élection primaire à Mayotte ou pour des candidats originaires de cette île n’est pas évoquée. On parle de Mayotte sans en parler. Mais, en même temps, il est dit à l’article 1er de la Constitution que «l’Union des Comores est une République, composée des îles autonomes de Mwali (Mohéli), Maoré (Mayotte), Ndzuwani, Ngazidja (Grande-Comore). […].». Or, la Constitution ne parle pas expressément du problème de l’élection primaire à Mayotte ou au profit de Mahorais, alors que l’État comorien considère Mayotte comme l’une de ses composantes.

        Autant il est permis à un Mahorais, en tant que Comorien de par la Constitution de l’Union, de prétendre à la magistrature suprême de son pays, autant on est en droit de se poser moult questions sur la manière d’organiser une élection primaire dont les candidats ne seraient que Mahorais: où organiser cette élection et sur la base de quelles listes électorales? Déjà, lors de l’élection présidentielle du 30 septembre 1985, quand la présidence tournante n’existait pas encore dans le système institutionnel des Comores, et quand les choses étaient beaucoup plus simples, Youssouf Saïd, un candidat mahorais, s’était présenté contre le Président Ahmed Abdallah, mais sa candidature avait été rejetée au prétexte que l’intéressé ne figurait pas sur les listes électorales aux Comores. Or, pour la symbolique, le Président Ahmed Abdallah était très mal inspiré de n’avoir pas autorisé cette candidature, quitte à organiser une fraude massive pour empêcher nolens volens l’élection du candidat Youssouf Saïd. Quel beau symbole aurait été une élection présidentielle comorienne à laquelle aurait pris part un candidat mahorais!

      Aujourd’hui, le journaliste Hakime Ali Saïd et les autres membres du Comité pour un Mahorais Président de l’Union des Comores revendiquent la présidence des Comores pour un Mahorais. Du point de vue du Droit, la question ne manque pas d’intérêt, et si elle obtient un soutien ferme de la part des acteurs politiques, elle risque de plonger les Comores dans une de ces crises politiques dont elles ont le secret. En même temps, si les Comores traitent cette affaire à la légère, elles prendront un grand risque, qu’on analysera notamment à la lumière de l’argument fort logique de Madame Sandati Abdou, Présidente des Femmes Leaders, qui estime, avec raison, que la candidature de Hakime Ali Saïd sera logiquement rejetée par «Moroni» et que ce rejet sera la preuve de la non-appartenance de Mayotte aux Comores. En effet, Madame Sandati Abdou martèle que «la candidature de Hakime Ali Saïd est, je trouve, légitime et normale. Et si Moroni accepte, ça veut dire qu’ils estiment que Mayotte appartient toujours aux Comores. Mais, comme je connais leur système, jamais ils ne diront “Oui”. Moroni dira directement “Non”. Et s’ils disent non, c’est la preuve qu’ils ont accepté que Mayotte est française. C’est la preuve aussi qu’ils acceptent la départementalisation de Mayotte». Les sceptiques peuvent rire, mais cette affaire est très grave. Tout bon juriste de Droit international public ou de Droit constitutionnel le confirmera.

        Cette gravité est d’autant plus réelle que les promoteurs de la candidature de Hakime Ali Saïd ne sont pas des partisans du rattachement de Mayotte aux Comores, mais, des gens qui font une certaine lecture de la Constitution comorienne et qui en exploitent l’une des nombreuses failles qui constituent sa trame. Quand on voit que la Présidente des Femmes Leaders, un mouvement très hostile aux Comores, boit du petit-lait en expliquant le piège tendu aux Comores et qu’elle encourage la candidature de Hakime Ali Saïd, il y a de quoi prendre peur si les Comores veulent continuer à revendiquer Mayotte en tant qu’île qui relève de leur souveraineté nationale. C’est une patate chaude aussi bien sur le plan juridique que sur le plan politique car, quelles que soient les arguties qui seront développées à Moroni, à Mayotte on va beaucoup rigoler en voyant les Comores pédaler dans la semoule.

        Dans l’argumentation des promoteurs de la candidature de Hakime Ali Saïd, la seule dynamique qu’on retrouve, est celle relative à l’arrêt des migrations comoriennes vers Mayotte, au développement des Comores et au placement des Comores au pays du mur. Sur le plan politique, les Comores ont intérêt à réfléchir sérieusement sur cette affaire qui va non pas dans le sens de la réunification de l’archipel, mais dans celui d’une campagne savamment orchestrée pour mettre les Comores en difficulté à partir des contradictions de la Constitution. Le «candidat» Hakime Ali Saïd lui-même crie haut et fort sa volonté de voir les Comores arrêter de harceler Mayotte et la France dans les conférences internationales, du fait de la présence française à Mayotte, présence tout de même voulue par l’écrasante majorité de la population de l’île. Quand Hakime Ali Saïd, dans un style provocateur bien rodé et dans un français bon père de famille, parle du développement de Mayotte, il l’envisage dans une perspective régionale et non comorienne. Pour sa part, Madame Sandati Abdou répugne à parler des «Comores» et de l’«Union des Comores», préférant «Moroni». Ce qui constitue le signe évident de la non-reconnaissance des Comores comme une entité viable et fiable.

        On va encore parler de la «déstabilisation» des Comores par la France. Or, en la matière, les Comores ne pourront rien prouver, alors que de lancinantes questions vont se poser sur cette candidature, dont l’acteur principal promet de réussir là où les autorités comoriennes ont échoué depuis 1975 en matière de développement économique et sociale. Cette candidature relève de la provocation, mais il s’agit d’une provocation intelligente puisque même les ultras des Femmes Leaders la soutiennent, dans le seul but de plonger les Comores dans l’embarras.

 
© www.lemohelien.com – Vendredi 22 février 2013.

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