
Trente-cinq ans après la séparation de Mayotte du reste de l'archipel, quel regard portez-vous sur ce contentieux territorial entre Moroni et Paris ?
Aujourd'hui, face à une telle question, on est désarçonné. Ce qui saute aux yeux, ce que les perspectives sont moins prometteuses qu'elles ne l'étaient jusqu'ici. On a l'impression que l'horizon est bouché, que la France a gagné. Les Mahorais estiment que le problème est déjà tranché. Les gens s'aperçoivent que les autorités comoriennes ont renoncé à revendiquer l'appartenance de Mayotte à l'archipel. Les documents signés par l'ex-président Azali Assoumani reconnaissant qu'il y a deux entités, c'est-à-dire l'Union des Comores d'une part, et Mayotte d'autre part, sont là pour le prouver. On parle de partenariat et de collaboration pour réguler les flux migratoires. Le sentiment dominant est celui d'une sorte de capitulation. C'est triste.
Vous avez été très actif dans le combat pour la réintégration de Mayotte dans le giron comorien. Depuis quelques années, on ne vous entend presque pas. Etes-vous rattrapé par une certaine lassitude ou vous estimez que le combat est vraiment perdu ?
Le problème est que l'instance ou l'institution qui devrait être à la tête de ce combat a baissé les bras. Et ici (Ndrl : à Mayotte), les gens considèrent que c'est une cause perdue et qu'il n'y a donc pas lieu de continuer un combat sans issue. De nombreux partisans du Front démocratique (Fd) se sont retirés pour avoir la paix ; d'autres se sont rendus avec armes et bagages. Le cas le plus typique est celui de Said Omar Oili, ancien président du Conseil général, qui donne aujourd'hui raison à ceux qui se sont battus pour la sécession de l'île. Personnellement, si je ne suis pas actif, c'est parce qu'il faut des moyens pour faire de la politique. Nous ne sommes pas aux années 90. Nous n'avons jamais reçu le soutien des autorités comoriennes. Or, elles devraient aider ceux qui sont sur le terrain et militent. Cela étant dit, je reste toujours disponible.
Que pensez-vous de la proposition du président Ahmed Abdallah Sambi de « Un pays deux administrations » ?
A l'origine, cette proposition vient du Comité Maoré. Je trouve cette idée inadaptée au cas de Mayotte. On a voulu trouver des similitudes entre Mayotte et Hong-Kong. Or, à Hong-Kong, il s'agissait d'un bail. Au bout d'un certain temps, l'île devait revenir à la Chine. Ici, la France ne reconnait même pas la ?comorienneté' de Mayotte. Elle n'admet pas l'existence d'un problème territorial entre les deux pays. La seule question qui restait encore à régler était celle du statut. Et c'est déjà fait. Ainsi, cette proposition de « un pays, deux administrations » me parait absurde. Si la diplomatie comorienne était active, peut-être elle aurait pu amener la France à examiner cette offre de solution. Ce qui n'est pas le cas. Mais, il faut dire que ce n'est pas seulement le gouvernement qui a démissionné sur le sujet, les partis d'opposition aussi.
Comment avez-vous reçu l'idée de Mme Fatima Said de se proclamer gouverneure de Mayotte ?
Ce qu'il y a de positif dans cette affaire est qu'elle remet au goût du jour la question de Mayotte. Je lui ai écrit pour lui dire que j'étais à la fois intéressé et intrigué, étant donné que je ne suis pas à même de mesurer le degré de sérieux de cette initiative.
Comment analysez-vous l'évolution politique et économique de Mayotte de ces dernières années ?
A Mayotte, il y a, sur le plan des infrastructures, un réel développement. En apparence, les choses ont progressé. Les écoles sont là, le corps enseignant aussi,?Mais, le système de valeurs est renversé. Les jeunes se disent qu'il ne vaut pas la peine de se fatiguer puisque, après tout, il y aura toujours l'argent. 10% seulement des élèves du collège ont le niveau. Je tiens ces statistiques d'un enseignant. Pour acheter la paix sociale, on fait donc monter les enfants. Le coup de balai intervient en 3ème et en terminale. Les lacunes en français sont criantes. Sur le plan économique, c'est une greffe d'une société occidentale que la France essaie d'imposer à Mayotte. Aujourd'hui, les entrepreneurs locaux sont soit des Français, soit des Réunionnais. Les Mahorais sont là en spectateurs. C'est le même processus que dans les autres colonies, c'est-à-dire une société d'assistanat. On accorde par-ci par-là des subsides pour calmer les ardeurs des Mahorais. Non seulement les Français prennent du poids sur le plan économique, mais bientôt ils vont investir le champ politique. On verra ainsi des maires et des conseillers municipaux blancs. A Mayotte, on essaie de créer de toutes pièces une société française des tropiques.
Quelle serait votre propre approche pour résoudre ce conflit vieux de 35 ans ?
Le principal handicap est cette impression générale d'avoir perdu la bataille. Les Comoriens ont baissé les bras. On estime que ce n'est pas si mal finalement, puisqu'en pas de pépin, on pourra toujours se réfugier à Mayotte. On me l'avait déjà dit lors d'un meeting à Anjouan. C'est une marque de désespoir. Seul le gouvernement peut donner une impulsion nouvelle, un regain de confiance à la population.
Ce mois de septembre, la question de Mayotte va être, une fois encore, débattue à l'ONU. Pensez-vous que le règlement de ce conflit passe par l'Onu ou par un dialogue bilatéral ?
L'approche bilatérale, c'est ce qui se fait depuis plusieurs années. Lors de la conférence d'Addis-Abeba, l'ancien secrétaire général de l'Oua, Salim Ahmed Salim, nous avait reproché notre attitude. Lorsque l'Oua veut prendre des initiatives, les Comores disent toujours avoir entrepris des discussions au niveau bilatéral. Ce dialogue entre les Comores et la France est un marchandage ; autrement dit, les autorités comoriennes acceptent de mettre en sourdine la question pour obtenir en contrepartie quelque chose. Ca dialogue bilatéral n'aboutira à rien tant que la France ne reconnait pas l'appartenance de Mayotte à l'archipel des Comores. Je fais un parallèle de la France à Mayotte et la présence d'Israël dans les territoires occupés.
Le Gthn (Groupe de travail de haut niveau), mis en place par la France et les Comores régler ce contentieux territorial et parler des questions de circulation des biens et des personnes, a suspendu ses travaux à la demande des autorités comoriennes. Regrettez-vous cette décision ?
Le Gthn est une trouvaille de la France pour occuper les Comores pendant qu'elle préparait la départementalisation de Mayotte. C'est une diversion. Ce n'est pas le cadre adéquat. Ni les autorités locales (Mayotte), ni la France n'ont l'intention de résoudre ce problème de souveraineté. Le Gthn est une humiliation supplémentaire.
Comment appréhendez-vous les conséquences de la départementalisation à Mayotte ?
Il y a un ex-ministre français de l'Outre-Mer, Louis Le pensec, qui disait en 1988 : « L'application du droit coutumier français à Mayotte entrainera partout des ruptures et pas forcément des conséquences attendues ». C'est exactement à quoi nous assistons aujourd'hui, aussi bien au niveau foncier que celui de la religion, de l'état-civil,?Aujourd'hui, beaucoup de gens à Mayotte n'arrivent pas à renouveler leurs papiers et se trouvent donc dans des situations très difficiles. Ils risquent de devenir des Mahorais de nationalité indéterminée. La déclaration des naissances est récente, après 1977. Ceux qui sont nés avant cette date ont du mal à produire des documents. C'est le même problème sur le foncier. Les Mahorais ignorent ce qu'est un acte de propriété. Pour justifier de leur qualité de propriétaires, il leur faut engager des procédures judiciaires souvent longues, avec constitution d'un avocat. Or, ils sont pauvres. Beaucoup se retrouveront donc spoliés. Et les Wazungus vont acheter toutes ces terres.
Dans une requête adressée à la cour constitutionnelle, le Comité Maoré demande la création d'un poste de vice-président pour l'île de Mayotte. Comment jugez-vous cette proposition ?
L'Etat comorien devra être conséquent avec la constitution. La Constitution stipule clairement que les Comores sont composées de quatre îles. Au lieu de cela, on dit que les institutions vont s'appliquer une fois que Mayotte réintégrera le nouvel ensemble comorien. Mais quand ? Que fait-on pour cela ? On se contente d'un certain formalisme. Sous le régime Ahmed Abdallah Abdérémane, il y avait, au moins, un ministre mahorais.
On assiste à une forte migration de Mahorais vers la France. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Par des considérations financières. Ce que les gens ne trouvent pas sur place, ils vont là où ils croient possible d'en trouver. Cela a commencé par les femmes. Elles y vont pour toucher les allocations familiales et autres. Ces prestations n'existent pas à Mayotte. Ce mouvement a été, un moment, encouragé par l'Etat français, parce que moins on avait des gens à Mayotte, moins on aurait des problèmes.
N'avez-vous pas l'impression d'être seul à Mayotte dans ce combat pour le retour de l'île ?
Très peu de gens sont prêts à proclamer ouvertement leurs positions. Même si, dans les faits, ils se disent Comoriens, jamais ils n'iront réclamer le retour de Mayotte. En privé, ils livrent leurs sentiments profonds, y compris les dirigeants. Mais, il faut dire qu'il y a un climat de malaise par rapport aux prises de position des autorités comoriennes.
Les « clandestins » font l'objet d'une véritable chasse aux sorcières. Après qu'un maire eut décidé de bruler des cases de certains parmi eux (Hamouro), on refuse à leurs enfants le droit d'aller à l'école sans parler des conditions dégradantes du centre de rétention de Mayotte. Pourquoi tout cet acharnement ?
Il va sans dire que dans n'importe quel contexte de forte démagogie, on cherche toujours des bouc-émissaires. Ici, les Anjouanais sont pointés du doigt et cela ne date pas d'aujourd'hui. On s'en sert pour faire l'impasse sur les problèmes réels qui se posent ici. Un préfet de Mayotte disait qu'il fallait couper le cordon ombilical, fermer les frontières et chasser les Comoriens des autres îles. Mais, demander à un Mahorais de ne pas recevoir un « clandestin » est impossible. On ne peut pas chasser son oncle, son cousin,?Les liens familiaux sont une réalité. Les Mahorais sont donc dans une situation ubuesque. C'est la quadrature du cercle. Et les Français le savent.
Propos recueillis à Mayotte par Mohamed Inoussa
SOURCE: AL-WATWAN MAGAZINE
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