samedi 26 juin 2010

Comment le séparatisme est-il devenu une gangrène ? de KAMAL SAINDOU

En 1999 lorsque les principales forces politiques comoriennes, réunies à Antananarivo, échafaudaient l’Union des Comores sur les ruines de la République, des esprits prudents étaient réservés sur cette architecture dont le nom de “Nouvel ensemble comorien“ sorti du chapeau de la Communauté internationale est en soi intriguant. Mais face à la vitesse avec laquelle la lame de fond de ce mouvement inattendu a déferlé sur le pays, les acteurs politiques comoriens ont très vite attrapé la première bouée tendue. Peu importait alors la main du secoureur, c’est l’opportunité qu’ils avaient de sauver leur peau qui comptait. D’autant plus que pour la plupart de ces groupes politiques, cette déferlante ne pouvait que mieux tomber pour emporter un gouvernement dont ils étaient, tous, farouchement hostiles. L’on pourrait attribuer l’opportunisme qui a suivi les premières secousses séparatistes à l’effet de surprise si l’histoire politique post indépendance de ce pays n’était pas celle des capitulations. Déjà en 1975, lorsqu’Ahmed Abdallah Abdérémane opte pour l’indépendance unilatérale pour anticiper les marchandages sur le petit “non“ mahorais, ses opposants ne se sont pas gênés de troquer la souveraineté du jeune Etat contre l’illusion d’un aménagement politique avec le Mouvement populaire mahorais. Le coup d’Etat du 3 août 1975 n’aura permis qu’une chose : la sécession de Mayotte qui inaugure le lent processus de démantèlement du pays sous la forme d’une crise institutionnelle permanente. Quand Ali Soilih, le principal auteur de ce premier putsch, réalisa qu’il fut égaré, le ver était déjà dans le fruit. Et ce n’est faute d’avoir été averti par quelques partisans lucides comme Abdoubacar Boina, qui témoigna plus tard avoir exprimé son scepticisme sur le bienfondé d’un putsch qui minait les espoirs d’aboutissement d’une revendication soutenue par la quasi-totalité des Comoriens. Trois ans plus tard, Ali Soilih payera de sa vie sa tardive prise de conscience.

De son exil parisien, Ahmed Abdallah accepte de reprendre du service non sans avoir souscrit au projet de la rue Oudinot d’une indépendance cadrée par l’étrange principe “des entités régionales” inspiré du fameux pluriel “des populations” imposé dans les Accords du 15 juin 1973(1). La constitution fédérale qu’il ramène de son exil parisien le 13 mai 1978 était la condition de sa réinstallation au pouvoir.

Depuis, tous les locataires de Beit Salam apprirent qu’il y a des limites qu’on ne franchit pas. Les uns se sont faits une raison de leur survie politique ; les autres y ont laissé leur peau. Au temps des coups d’Etat, ce moyen d’accéder au pouvoir servait à maintenir brandie l’épée de Damoclès. Après la Baule, on leur a substitué le spectre séparatiste. La tentative séparatiste de 1992 à Mohéli –la seconde depuis celle de Mayotte en 1975 – n’a pas fait long feu mais a inspiré la nouvelle stratégie de déstabilisation. L’on parle d’identification insulaire, de spécificités insulaires, de quota de répartition des postes politiques, de frustrations accumulées et bien sûr d’hégémonie des îles sur les autres, etc. En 1997, le test mohélien trouve à Anjouan, l’île réunissant tous les ingrédients – explosion démographique, dégradation sociale et économique – une déflagration aux effets dévastateurs.

Comme en 1975, devant ce nouveau risque séparatiste, les formations politiques ont privilégié leur opposition au gouvernement en place au détriment d’une union sacrée pour défendre la souveraineté nationale. Un opportunisme de plus qui confisque toute capacité de riposte à cette nouvelle crise sécessionniste – la troisième donc –-. Dans le vide laissé par la démission des politiques, la communauté internationale, l’Organisation de l’Unité africaine (actuelle Ua) en tête n’eut aucune peine à faire passer sa vision de sortie de “crise” et engage les Comores dans le cycle infernal de démantèlement/réconciliation/démantèlement qui aboutit à ce système politique éclaté. “Ce système d’une Union des îles, c’est ce qu’on nous proposait en 1973“, se souvient un leader de la première génération politique comorienne. Un aveu qui confirme que beaucoup des personnalités comoriennes savaient ce qui se tramait depuis trois décennies.

Acteurs ou seulement complices? Difficile de répondre à leur place. Leur silence les rend au moins coupables vis-à-vis des Comoriens qui ont payé un lourd tribut de l’instabilité chronique, le corollaire de tels atermoiements. Comment un peuple pouvait-il se construire un destin national quand ceux qui parlent en son nom ne sont que les relais locaux d’une oeuvre de déconstruction de son identité. Ailleurs, on les nomme des collabos. Chez nous ils surfent sur l’amnésie des Comoriens et continuent de prospérer sur un pays qui se meurt.

Kes

(1)Accords sur le processus d’accession de l’archipel des Comores à l’indépendance

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Tout commentaire diffamatoire ou qui ne respecte pas les règles élémentaires de politesse ne sera pas mis en ligne