UN ARRET QUI N’ARRETE RIEN,
UNE PATATE CHAUDE DANS LA MAIN DU PEUPLE COMORIEN
Le 8 mai 2010 la Cour Constitutionnelle a rendu un arrêt très attendu sur trois recours formés par M. Abdou DJABIR, Mme Andoimati MIKIDAD, et M. Said ali KEMAL contre la loi très controversée adoptée par le congrès le 1er mars 2010 (n° 10-003/CAUCI. )
Je ne puis ni me laisser gagner par la joie de ceux qui félicitent la Cour constitutionnelle, ni partager le pessimisme de ceux qui crient au scandale ! je me situe exactement à équidistance, et je suis inquiet.
Je suis inquiet par ce que cette décision qui devait nous rassurer et rétablir la confiance en nos institutions est remarquablement mal rédigée. Elle pose beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en résout. Certains se demandent si ce n’est pas précisément ce que certaines forces occultes, derrière le rideau de la Cour, souhaitaient ardemment
A première vue, elle satisfait tout le monde : elle retient la date du 26 mai pour la fin du mandat présidentiel, ce qui devrait réjouir les demandeurs, mais elle dit que « le Président et ses vice-présidents exercent leurs pouvoirs dans une démarche consensuelle jusqu’à l’investiture du nouveau Président de l’Union et des gouverneurs », ce qui devrait faire plaisir aux défendeurs.
On attendait la décision de concorde, et voici peut-être la pomme de discorde !
Tout se passe comme si cet arrêt était un texte écrit en langue étrangère tant il est difficile à comprendre. Essayons de traduire.
Tout d’abord, la Cour a statué sur sa compétence. Qu’en est-il exactement ? ( I )
Elle a ensuite examiné la recevabilité des recours pour ne retenir finalement que le premier, celui de Abdou DJABIR ( II )
Elle a enfin déclaré anticonstitutionnelles « les dispositions de l’art.2 »de la loi attaquée. (III)
I. LA COMPETENCE
La Cour nous a agréablement surpris. On se souvient en effet de décisions récentes où elle déclarait sereinement son incompétence quand elle était parfaitement compétente, des cas où son incompétence était manifeste et où elle se déclarait sereinement compétente.
Il faut reconnaître qu’ici elle a fait une exacte application de la loi. En se déclarant compétente pour examiner une loi qui exécute une disposition constitutionnelle et dont l’objet est électoral, elle a indiscutablement respecté la constitution.
II. LA RECVABILITE DES RECOURS
L’incertitude demeure en revanche, s’agissant de l’irrecevabilité des deux requêtes rejetées. Le motif serait en effet que les requérants, ayant introduit leur demande au nom d’une personne morale, devaient, conformément à « l’article 29 de la loi organique susvisée (loi du 30.06.2004) produire à la première demande, la preuve de l’enregistrement des statuts »
Cette première demande doit être faite évidemment par écrit.
La cour a en effet la fâcheuse tendance à oublier que la procédure devant elle est d’abord écrite.
La phase orale est secondaire. Il y a fort à parier que le greffe qui devait faire cette sommation ne l’a pas faite. Il s’ensuit qu’aucune irrecevabilité ne pouvait être opposée aux requérants. J’insiste sur ce point précis car je sais par expérience que le Greffe de la Cour bien que dirigé par un magistrat expérimenté néglige trop souvent de faire les communications prévues par la loi. Les avocats hélas ont tendance à se laisser prendre au jeu et à ne pas exiger comme c’est leur devoir le respect strict de la procédure. Je me souviens moi-même d’avoir plaidé dans une affaire où le mémoire de l’adversaire ne m’avait pas été communiqué alors qu’il s’agissait là d’une formalité substantielle dont le non respect viciait toute la procédure.
C’est une erreur que nous ne devons plus commettre ! La plus haute juridiction de l’Etat ne peut pas se permettre de fermer les yeux sur ce qui fait l’essentiel et la garantie des droits constitutionnels des citoyens.
Cela dit, il se pourrait très bien que la formalité ait été correctement réalisée ; en ce cas, on pourrait bien se demander comment il se fait que la pièce manquante n’ait pas été produite et la Cour aurait bien eu raison de rejeter les requêtes.
III LE FOND
Tout compte fait, l’irrecevabilité des deux requêtes ne présente pas d’intérêt majeur dans la mesure où il y a eu jonction des procédures et que l’objet de toutes les requêtes était le même : l’annulation de la loi du 1er mars 2010.
L’arrêt a annulé partiellement cette loi mais dans des termes qui laissent pantois :
- L’article que l’arrêt annule pour avoir « déterminé la date des élections » n’est pas celui qui a « déterminé la date les élections ».
- La « démarche consensuelle » préconisée par le point 4 du dispositif est laissé dans un flou artistique qui encourage tous les palabres
- Le président de l’Union est laissé à la tête d’une « période intérimaire » indéfinie sans autre pouvoir que d’expédier les affaires courantes, à moins que….
Ces dispositions ajoutent à la confusion au lieu de la dissiper. Pourquoi ?
- C’est l’article 1 et non l’article 2 de la loi qui « détermine la date des élections » Voyons les deux articles de la loi de mars 2010
Article 1er: Les élections générales du Président de l'Union et des Gouverneurs des îles sont fixées au 27 novembre 2011.
Article 2: Le Président de l'Union, les Vice-présidents, ainsi que les Gouverneurs des îles continuent à exercer leurs fonctions respectives jusqu'à la tenue des élections susvisées.
Si c’est l’article 2 qui est annulé comme le proclame le dispositif de l’arrêt, alors le Président et ses vice-présidents doivent partir dès le début de la période « intérimaire »
Mais comment concilier cette interprétation avec la déclaration claire et non équivoque du point 4 de l’arrêt où il est dit notamment « …s’ouvre une période intérimaire durant laquelle le Président et le Vice- présidents exercent leurs pouvoirs …. » ?????
Dira-t-on que c’est une erreur de frappe ? Doit-on permettre à la Cour constitutionnelle des Comores de faire des erreurs de frappe dans une décision de cette importance ? Nos élites politiques doivent saisir la Cour d’une requête en interprétation de manière à clarifier la situation et sortir de cette impasse ridicule !
Si nous admettons que c’est plutôt l’article 1er qui est visé, il faut ajouter que l’article 2 (celui-là même qui a été annulé !!!) est non pas annulé mais modifié par l’expression « dans une démarche consensuelle »
- Cette précision est tout le contraire d’une précision, tout simplement parce que
Le président et ses vice-présidents sont déjà dans une démarche consensuelle et si le consensus devait les concerner seuls, on ne voit pas l’intérêt de le mentionner.
En réalité le consensus relève du domaine des conflits politiques et je conviens qu’il était mal aisé pour de la Cour d’en faire état. Mais alors pourquoi en parler ?
Etait-ce le rôle de la Cour d’inviter au consensus ? Avait-elle besoin d’ailleurs de le faire alors que justement toute la vie politique du pays se déroule dans l’ambiance de ce baume archaïque et délétère?
Cela fait un peu plus de 20 ans que dans ce pays on parle de « consensus » pour régler tous les problèmes y compris dans les domaines où la loi a clairement tranché. La loi existe ? Mais elle ne convient pas à telle ou telle partie ! Qu’a cela ne tienne ! Cherchons un consensus !....
Notez bien qu’il existe une autre lecture possible, plus cohérente, et qui mettrait le texte de l’article 3 de cet arrêt historique à l’abri des sourires. Quand la Cour dit : « article 3 : déclare anticonstitutionnelles et annulées les dispositions de l’article 2 de la loi n° 10-003/CAUCI du 1er mars 2010 déterminant la date des élections du Président de l’Union et des gouverneurs des îles…, » rien ne nous interdit de comprendre qu’il s’agit de la loi qui détermine la date des élections et non de son article 2, qui donc aurait été annulé en ce qu’il dispose que les autorités de l’Union continuent à exercer leurs fonctions jusqu’aux nouvelles élections.
Et alors tout deviendrait clair : la date fixée par l’article 1 serait bien la même, (27 novembre 2011), il n’y aurait que l’art 2 de la loi qui serait touché, ….. Et voilà que l’on retombe dans le carcan du consensus…..
La Cour Constitutionnelle n’avait pas le droit de nous plonger dans cette obscurité totale.
Elle avait le devoir de répondre clairement à la question qui lui était posée.
Ne l’ayant pas fait, il incombe aux acteurs de ce drame, c’est-à-dire aux politiques de saisir la Cour de toute urgence en interprétation. C’est une procédure normale et qui s’applique devant toutes les juridictions, et notamment celles ayant jugé en dernier ressort ou dont la décision est devenue définitive faute de recours.
Or pour les raisons que nous venons d’indiquer, cette décision pour toutes les parties, pour tout le pays, est une patate chaude. Il faut vite la renvoyer à l’expéditeur.
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